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Entretiens avec Frederick Tristan
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1 - Vous fêtez actuellement vos 50
ans d'édition. Fayard vient d'achever la republication de
toute votre oeuvre romanesque, soit une trentaine
d'ouvrages, avec la réédition de votre roman La Femme écarlate.
Dans le même temps, parait Le Chaudron chinois, récit inédit
ayant pour décor l'ancienne Chine. C'est votre cinquième
livre sur ce thème. Pourquoi ?
La Chine
est une affaire de famille. Mon grand-père vécut 30 ans
à Shanghaï vers 1880 et en rapporta tant de souvenirs
qu'il transforma l'intérieur de la demeure ardennaise de
mon enfance en maison chinoise. |
Plus
tard, je fus délégué en Extrême-Orient, particulièrement
en Chine, de 1969 à 1986. Enfin, j'eus le bonheur d'avoir
pour ami proche Chou Lin Jin, le dernier descendant de la
dynastie Jin, grâce auquel je pus approcher la Société
du Ciel et de la Terre, la Tien Ti Houei, dont j'ai publié
naguère les rituels avec commentaires dans Houng, les
sociétés secrètes chinoises. |
2 - Quel est le rapport entre le
Chaudron chinois qui est un vrai roman d'aventure et ces
sociétés initiatiques ?
Le roman
est l'histoire d'un jeune chinois, Ti-Phang, qui, ayant
mal lu les livres de la bibliothèque familiale, s'est
pris pour un grand initié (un dragon doré) et s'est mis
à mépriser ses parents qui en sont morts. Le récit
raconte comment ce jeune homme va devoir réparer ce crime
à travers des réincarnations successives. Cela m'a
permis d'évoquer de manière non didactique la grande
tradition chinoise de la vie et de la mort. Ainsi
suivra-t-on Ti-Phang dans sa quête confucéenne d'une
morale liée aux ancêtres, dans sa descente aux enfers
taoïstes, dans sa pratique du bouddhisme T'chan. Dans mon
premier roman chinois Le Singe égal du ciel j'avais adapté
une légende chère à tout l'Extrême Orient et inconnue
en Occident. Aujourd'hui, ce véritable conte a été joué
au théâtre à plusieurs reprises pour le plaisir et
l'enseignement de différentes générations. Avec le
Chaudron chinois, j'espère apporter une meilleure
connaissance de la pensée chinoise traditionnelle tout en
divertissant le lecteur par un récit non exempt de facéties
et d'humour. Notre époque se méfie des dogmes et nourrit
un intense besoin de récits initiatiques et de contes
merveilleux. |
3 - Le lecteur français ne se défie-t-il
pas de l'imaginaire pour lui préférer le réalisme ?
Le réalisme
n'exclut pas l'imaginaire. Une grande partie de notre
existence est heureusement régie par un sain ludisme qui
échappe à la contrainte quoditienne du réel. Lit-on une
histoire pour retrouver celle que l'on vit déjà ?
Beaucoup de lectrices et de lecteurs recherchent dans un
roman une échappée vers un ailleurs. C'est le rôle
essentiel de la fiction. A cet égard, l'imaginaire
chinois est d'une grande richesse. On a même pû prétendre
que la Chine ancienne faisait partie de l'inconscient
populaire occidental. Voyez le Fu Manchu de Sax Römer !
Les histoires policières du juge Ti ! L'essentiel est
qu'un récit de fiction soit crédible grâce à la
logique interne de son parcours. C'est en ce sens q
ue ma
connaissance de la tradition Houng m'a permis d'approcher
ce que l'on pourrait appeler l'âme chinoise et de la
restituer dans un récit volontiers de type initiatique.
Mais attention ! On pourra n'y lire qu'un récit
picaresque ou fantastique, voire drôlatique, et c'est très
bien comme ça ! J'apprécie que mes romans puissent être
lus à plusieurs niveaux.
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4 - Drôlatique, en effet, lorsque
Ti-Phang, votre personnage, entre dans un monastère d'obédiance
T'chan !
Ce passage
du roman évoque l'initiation par le non-sens. lI s'agit
d'amener le novice à se désencombrer du langage et de sa
propension à croire en la réalité. Pour le bouddhisme
T'chan, la réalité n'est pas réelle. D'où, pour un
lecteur cartésien, un humour de type paradoxal comme
"Il est rare de voir un fromage grignoter un
rat", ou " Un renard court si vite qu'il n'a
plus de pattes". Les adeptes du Zen appellent ça des
Koan. Mon petit recueil Les succulentes paroles de Maître
Chû illustre par de courts textes cette méthode
particulière. Elle se rapproche de quelque manière de la
pataphysique occidentale, mais dans un but différent.
D'ailleurs, si l'on approfondissait
sous cet
éclairage l'ensemble du Chaudron chinois, on
s'apercevrait qu'il s'agit, en fait, d'un énorme koan, de
bout en bout ! Dans mes récits, j'ai toujours
privilégié un certain humour décapant. |
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5 - En revanche, d'autres passages
décrivent des moeurs bien réels de l'ancienne société
chinoise tels que les rites de mariage ou d'obsèques.
C'était
une société extrêmement ritualisée. Tout partait de
l'empereur et descendait vers le peuple selon une pyramide
excessivement hiérarchisée. Dans le Chaudron chinois,
Ti-Phang est fils de mandarin. En se révoltant contre son
père, il se révolte contre la rigidité du système
social et se réfugie dans un monde de son invention,
fabriqué à partir de ses lectures mal controlées. Trop
tard, il sera obligé d'admettre son erreur et, à travers
une série de redoutables épreuves, finira par s'intégrer
à nouveau dans la tradition. Mais, cette fois, ce sera
par amour de la jeune Nu-Haï, symbole vivant de la bonté,
qu'il épouse et qui, lors d'une longue ascension du Mont
O-Maï, l'accompagne vers son véritable destin. Lors de
ce parcours décisif, le lecteur rencontrera les usages médicaux,
littéraires et religieux de l'époque. S'y ajoute la
description
de
superstitions et de croyances magiques que j'ai puisé
dans des ouvrages classiques du Tao populaire : scènes
d'envols et de métamorphoses, apparitions des esprits, rêves
fantastiques, qui ajoutent au climat typiquement chinois
du récit. La descente de Ti-Phang chez les morts suit la
description des enfers indiens venus en Chine avec le
bouddhisme. Ce sont les "prisons de la terre" (di
yu) où seuls de rares héros peuvent descendre tout
vivants. |
6 - Il s'agit donc d'une sorte de
fantastique...
Le Chinois
est un pragmatique qui adore le jeu et les contes. Il a dépeint
le ciel et les enfers à la façon de la bureaucratie
terrestre mais il vient toujours s'y méler quelque singe
pour y mettre la pagaille. Néanmoins, l'extraordinaire y
rencontre toujours une signification morale. En effet, indépendamment
de diverses croyances populaires toujours vivaces, on
s'aperçoit que le maoïsme a peu changé les fondements
confucéens de l'individu chinois en société. La famille
et l'harmonie en sont les bases essentielles. C'est
pourquoi la révolte de Ti-Phang contre sa famille est
considérée comme si grave. Elle sappe les fondements du
système politique et social tout entier. Il faudra donc
qu'en soignant sa conscience égarée il reconstruise tout
ce qu'il a détruit par un orgueil futile. Et c'est en ce
point que doivent entrer en jeu des forces extrordinaires
afin que la cité et l'ensemble de l'empire puissent
recouvrer l'ordre perdu. Dans le Chaudron chinois s'ajoute
la vision taoïste selon laquelle ces forces doivent être
de nature magique, proprement fantastique, car le déséquilibre
provoqué par Ti-Phang a également ébranlé le cosmos.
Il faut rien moins que remettre l'univers dans le droit
fil de l'Etoile Polaire en se repolairisant à l'intérieur
de soi-même. L'amour sera le puissant moteur secret de
cette régénération afin que le yin et le yang puissent
de nouveau s'équilibrer dans l'harmonie retrouvée.
7 - Le Chaudron chinois a-t-il un
message a apporter à nos contemporains ?
Ce n'est
pas un message, mais un témoignage. Tandis que la Chine
d'aujourd'hui s'occidentalise, l'Occident s'imprégne peu
à peu de la pensée orientale. Nous connaissons
l'influence de ce qu'on appelle à tort la gymnastique
chinoise, le Taï Chi Chouan, le Chi Kong, qui connait en
France de plus en plus d'adeptes. Il s'agit de la pratique
de l'énergie vitale. Il en va de même pour l'acupuncture
et, dans un autre ordre d'idée qui n'est pas sans conséquence,
pour l'alimentation. Un roman comme le Chaudron chinois
tente de décrypter le dessous de toutes ces influences --
dessous qui est, en fait, le tissu vrai. Ma démarche d'écrivain
a d'ailleurs toujours été la même, quel que soit
l'imaginaire que j'ai souhaité abordé ou qui m'a
sollicité. Que ce soit dans le monde anglo-saxon,
germanique, arabe, juif ou chinois, toujours c'est l'homme
et lui seul que j'ai tenté de décrire en sa grandeur et
en ses failles et surtout en sa quête acharnée du Sens.
Pour cela, j'ai voulu utiliser le langage même de nos
profondeurs de conscience et, en particulier, l'onirisme
car, je le rappelle, nous sommes nés de la poussiére des
étoiles et nous sommes pétris de la matière de nos rêves.
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